recit les gens d ici

1939-2019 : Le vécu des familles squiffiecoises, durant la seconde guerre mondiale


80 ans après le déclenchement de la seconde Guerre Mondiale, nous avons voulu revenir sur le vécu des Squiffiécois, durant les années de guerre, mais surtout du point de vue des familles, qui avaient souvent un de leurs hommes, sinon plus, en captivité en Allemagne, ou dans les territoires soumis au IIIe Reich. Pour ce faire, nous avons rencontré M. Emile LABAT, qui a bien voulu nous raconter sa propre expérience d’enfant. Un enfant qui a vécu 6 ans sans connaître son propre père.

 

Quel fut le vécu de votre famille en 1939 ?


emile labatEtant né le 16 août 1939, je n’avais que trois semaines, lorsque mon père est parti au front le 6 septembre, lors de la mobilisation générale. Bien plus tard, son régiment s’est fait accrocher par les Allemands, en Belgique. Ils se sont vus entourer ; ils ont été capturés, puis envoyés directement en Allemagne, en camp de prisonniers. Nous étions alors en 1940, à la fin de la « drôle de guerre ». Il a été prisonnier de guerre pendant six ans et a été libéré par les Soviétiques. Durant son parcours, il est arrivé jusqu’à Odessa (en Crimée).

 

C’était vraiment dur pour un père de famille d’être fait prisonnier. Le plus difficile à accepter, pour lui, était de ne pas pouvoir faire sa moisson à la maison et de pourtant devoir faire celle de quelqu’un d’autre, en Allemagne, en tant que prisonnier de guerre. Ensuite, mon père fut souvent placé dans des fermes. Il m’avait raconté que pendant son trajet de captif, il est passé près de Düsseldorf.

Nous vivions à ce moment là à Kerdanès. Pendant la guerre, les frères de ma mère venaient pour aider lors des grands travaux. Ils étaient plus jeunes et n’avaient donc pas été incorporés, au début du conflit. Ils se sont ensuite cachés pour ne pas participer au S.T.O. (Service du Travail Obligatoire). Sinon, pendant tout ce temps, je n’ai été entouré que de femmes : ma mère, ma sœur et ma tante. Chez les voisins également on retrouvait pareille situation, car les hommes étaient aussi prisonniers. Les femmes devaient donc faire le travail des hommes, dans les champs. C’était une période difficile. A kerdanès ce n’était pas moderne. De plus, notre cheval de ferme avait été réquisitionné par les Allemands, ce qui nous pénalisait davantage.

 

Là où il était, recevait-il des courriers ?


Pendant des mois et des mois on pensait qu’il était disparu, car on ne recevait pas de ses nouvelles. Puis on a enfin eu son adresse en captivité. Alors, ma mère a fait faire une photo de ma sœur et moi, pour lui envoyer en Allemagne. Il l’avait bien reçue, là où il était. D’ailleurs, sur le dos de la photo, il y a le tampon de l’administration du camp (STALAG XVII A ), avec la mention GEPRUFT, qui veut dire : « vérifié », car les autorités allemandes contrôlaient tous les documents. Cette photographie a fait le chemin aller et retour, durant la guerre.

 

Il pouvait donc recevoir du courrier, mais les échanges étaient très espacés. Ma mère lui tricotait aussi des bas de laine, car il nous avait écrit qu’il avait très froid en captivité. Nous savions aussi que les courriers étaient censurés. Les colis étaient souvent ouverts et les « garde chiourmes » des camps y prélevaient souvent les choses qui les intéressaient.

Pendant l’occupation, notre maison avait été visitée par des Allemands en armes, à la recherche du maquis qui était installé à Toul Louarn. Lorsqu’ils avaient demandé la route pour s’y rendre, ma mère les avait envoyés sur un chemin impossible. Nous étions alors en 1944 et moi, tout bambin, je trouvais forcément les Allemands très grands. Trois sont entrés dans la maison et les autres étaient restés dehors. Ils étaient équipés d’un side-car et d’une sorte de jeep. Il faut tout de même savoir que nous avions risqué gros, car juste quelques jours auparavant, nous avions eu la visite d’une dizaine d’hommes du maquis à qui ma mère avait fait à manger, à cette occasion. Heureusement ils ne sont pas tombés nez à nez avec les allemands qui les recherchaient…

 

Que savez-vous de sa vie en captivité ?


En Pologne, dans la ferme où il était placé, ils produisaient beaucoup de pommes de terre. Ils avaient aussi des poules et cela lui permettait de soustraire quelques œufs de la ferme, pour les donner à ses amis de captivité. Un jour qu’il livrait des pommes de terre, par le plus pur des hasards, il a retrouvé Jean Kerroguès, un voisin de Kermoroc’h qu’il connaissait déjà avant la guerre. Et le plus fort est que cet homme est devenu mon oncle par alliance, bien plus tard, lors de mon mariage.
En captivité, comme de nombreux paysans bretons, il travaillait donc dans des fermes en Allemagne ou dans les territoires occupés. Il nous a dit y avoir été relativement bien loti. Il avait tenu un carnet sur lequel il traduisait les mots d’Allemand. Il m’a aussi dit qu’ils l’appelaient Albert, avec un T appuyé, comme s’il y avait un E final à son prénom.
La famille était constituée d’un couple d’anciens et d’une dame, dont le mari, mobilisé, était parti au front. Mais lorsque le mari arrivait en permission, la musique n’était pas la même, car cet homme saluait le portrait d’Hitler, affiché dans la maison. Le père de famille avait fait la guerre de 14-18 et avait tout de même dit à mon père : « Maintenant, Hitler va être foutu, parce que les Russes attaquent ! ».

 

Comment s’est passé le retour de votre père ?


Les Soviétiques avaient fortement avancé à l’Est. Les prisonniers français qui se trouvaient libérés ont été envoyés à l’Est de la Pologne et de l’Ukraine. Certains s’étaient échappés des camps de prisonniers et sont revenus par leurs propres moyens en France, après s’être cachés durant des mois dans les forêts.
Lors de leur retour, les prisonniers sont revenus par train, dans des wagons ouverts. Il m’a également raconté que pour faire la route, on ne leur donnait que de l’orge à manger. Ils cuisaient ça dans une casserole au centre du wagon. Pour on ne sait quelle raison obscure, un jour, un gars jeta dans le feu une sorte de grenade, qui bien évidemment a explosé dans le train, faisant de nombreuses victimes.
Il a vraiment fallu des semaines, entre sa libération effective et son arrivée à Squiffiec. Il n’est rentré à la maison que le 28 juillet 1945. J’ai eu peur ; Je ne le trouvais pas comme les autres. Lorsqu’il est revenu, il n’était pas en très bonne santé et avait des problèmes cardiaques. Quand il est arrivé en face de moi, j’étais avec un camarade. Mon père, voulant enfin faire la connaissance de son fils qu’il n’avait jamais vu, en dehors des photographies, nous a demandé : « Qui est Émile ? »

 

Puis comment s’est fait le retour à la normale ?


Directement après la guerre, nous entrions dans une ère de modernisation. On commençait à faire d’autres cultures et à mettre de l’engrais sur les terres, par exemple. Puis, la famille s’est alors déplacée de Kerdanès à Gardehaut.
Pour la petite histoire, je dois aussi dire que j’ai vécu une chose peu banale: C’est le 6 septembre 1959 que je partais pour 28 mois en Algérie... soit exactement jour-pour-jour 20 ans après le départ de mon père, pour la Seconde Guerre Mondiale !

 

⇒ L'histoire de Squiffiec : les récits

 
  • Aucune note. Soyez le premier à attribuer une note !

Ajouter un commentaire

 
×